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F.H., 2022


Photo © Frédéric Houvert


texte accompagnant l'exposition "Scarlet star" de Frédéric Houvert, La Bonbonnière, espace d'art de Les Roches de Condrieu, 2023 / commissariat par Paul Raguénès



Asclepias syriaca, Anthurium. Succulente.


Ces noms n’évoquaient pour moi aucune forme. Aucune couleur, et si c’est le cas aujourd’hui, ma vision n’est pas naturaliste. Je visualise des contreformes boursouflées de couleur acrylique sur les abords des tranches de cartons ondulés, dont la teinte de tabac cramé aux U.V. ne transparait que de manière éparse à travers les postillons de peinture en bombe, souvent chrome. Des pochoirs croûtés recadraient le mur de l’atelier, se superposant, ployant, gisant. Des spectres aux silhouettes incomplètes. Des tranches. Des tableaux. Une margelle grise comme estrade photographique avant l’emballage des œuvres, leur rangement. Les outils restaient disponibles, visibles, à portée. Sur le bureau, un catalogue au papier glacé.


Ces objets font aujourd’hui place à des céramiques, à des planches en bois. Les artistes se remplacent et n’ont pas besoin de se connaître ni de s’apprécier pour cela.

Je ne connais rien aux plantes. Je les découvre, lorsque j’en ai la charge, déshydratées dans un pot à la terre sèche. Ramasser leurs feuilles mortes sur un plan de travail, un rebord de fenêtre, un sol en aggloméré, avec la délicatesse de la culpabilité. La main en coupe au dessus du plastique noire. Le composte leur est même refusée pour mieux dissimuler ma défaillance. Je ne sais que délaisser le vivant.


Je rêve d’un banzaï géant. À ma taille. Encombrant mon passage dans mon intérieur domestique. Je le taillerai parfois, pour accéder à mes chaussettes, à mon dentifrice, à mon jus de tomate. Celui que m’avait offert mon oncle ne dépassait pas le grand bocal de cornichons aigre doux. Il est mort sans doute plusieurs semaines avant que je ne m’en aperçoive. Je songe à mon oncle comme à son banzaï.

J’ai plusieurs amis artistes à la main verte. L’un a deux filles. L’autre n’a que ses plantes. Les plantes et la famille sont conciliables. Les plantes ne sont pas exclusives. Moi, je n’aime que la tyrannie.


Les Fleurs du mal. J’en ai sans doute 3 exemplaires, le premier abandonné dans un rayon de livres, dans le grenier de mes parents. Je retombe dessus l’été, en visite, à la recherche de lecture romanesque , divertissante et médiocre, rangée parmi des classiques au papier jauni. Il y a certains ouvrages dont les premières pages sont familières. Suffisamment pour être confiant d’en finir la lecture chaque fois que l’on s’y attelle ou qu’on le rachète aux puces dans une compulsion que l’agent liquide en poche permet. Mais non. La poésie de Baudelaire m’emmerde. Tout est en alexandrins. Tout s’arrête à la page 5, 12, 18.


Je préfère ses textes critiques. Sa malhonnêteté intellectuelle n’enlève rien à son émulation. Le peintre de la vie moderne. C.G. en est le héros anonyme. C.G. dessine, ne peint pas. C.G. est publié, n’expose pas. C.G. vit de son travail, n’emballe ni ne range ses œuvres dans un rack froid. C.G. aime croquer les robes, les coiffures, les bouquets, recherche le faste des soirées mondaines.


Je ne comprend pas la poésie des fleurs. L’émotion de la fragilité, je la saisis mais l’exaltation et l’extase ? Mon nez bouché, mes doigts poudrés de pollen. Bouquet fragile. Le soulagement de s’en séparer est le plaisir d’offrir. Je ne suis pas à la hauteur du délicat.


Les doigts et les ongles peints. Le marc de café remplace le savon à bille, dessine une spirale avant de disparaître dans le siphon de l’évier. Il paraît que certaine graines alimentaires peuvent y germer, remontant à la lumière de l’ampoule électrique, dans la corolle de la bonde. Cela ressemble à une métaphore optimiste.


Acheter un ficus.

Boire un verre d’eau.


F.H. est un poète. C’est ce qu’un de nos amis en commun, poète et peintre, affirma dans un de ses textes à propos de sa peinture. Dans le rang de ses qualificatifs élogieux, c’est le plus haut, j’imagine.

F.H. est un esthète. Mon appréciation.

S.F. est neurasthénique. Ma dépréciation.


Lors de mes périodes d’abattement et d’oisiveté, je me plonge dans des lubies excessives. Arrêter de fumer définitivement. Arrêter de boire définitivement. Adopter un régime alimentaire drastique, supposé bénéfique mais, néfaste dans le prolongement déraisonnable de sa durée. Des achats de livres que je range et oublie. La nuque chaude, planifier un meurtre ou une rénovation inadéquate de mon appartement. Un(e) qui me pousserait à le quitter définitivement. Haïr septembre.


Dans le roman fantastique L’invention de Morel de Aldolfo Byos Casarès, le protagoniste est un évadé sans nom. L’origine du personnage porte un mystère suffisant pour que l’on s’identifie à lui, mais sans qu’elle ne suscite un intérêt particulier dans le récit. Il est une sorte de témoin sans intériorité, un naufragé occidental avec une touche d’orient, dans mon souvenir. Le souvenir/l’absence de souvenir est le nœud du récit. Les objets cèdent à leur image. L’image reproduit et dissout les objets. Les marées alimentent la machine qui anime l’île, sa faune et sa flore : la semaine est l’unité de répétition de la mémoire et de la projection. Chaque vague est unique. Chaque feuillage est unique. Je ne les regarde pas. La machine enregistre, se substante et exhale, c’est une œuvre totale. Une vie paisible d’image sans conscience.


F.H. a quitté la grande ville. Dans son jardin, même les salades sont belles. Il peint, cultive, cuisine, s’occupe de ses filles, apprécie les saisons. Son aquarium est magnifique. Ample.


Sans l’Oeuvre de F.H., il n’y aurait pas de plante dans mon évasion.



sept. 2022

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