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Careness, 2020


invitation au Summer Camp, Association cONcErn, Cosne d'Allier, 2020


Prendre soin.

Je ne sais pas vraiment comment l’envisager dans ma propre pratique artistique. J’ai fréquenté autant de déchetteries que d’ateliers. Largué des copains, pris des coups, coupé les ponts, lâché du lest, dit adieu sans pardon. Je ne suis pas porté sur le soin. Est-ce générationnel ? Les années 90’s ont célébré le grunge, jean déchiré, manches élimées, t-shirt tâché. A la télévision, je regardais de belles lumières vertes, dans le ciel kosovar, bombarder une ville nocturne . David Hasselhoff poussait la chansonnette lors de la démolition d’un mur entre l’ouest et l’est, MTV standardisait les codes de provocation épicurienne du punk. Jack Ass et Fight Club me donnaient des frissons masochistes. « Nevermind » de Nirvana, à l’anti-héroïsme héroïnomane, était le fer de lance de ce « A quoi bon ? » ; « I don’t care at all » prolongement ensuqué et avachi du « No futur ».

Dans les années 2000 et 2010, la dématérialisation, engendrée par la révolution numérique, et le libéralisme, prônant l’obsolescence programmée, nous ont éduqués à remplacer les objets et le salariat, à s’en déposséder sans sentimentalisme, au profit de services et de prestataires anonymes et instantanément remplaçables.


De nos jours, mon cœur balance de manière contradictoire entre des théories collapsologistes au pessimisme fiévreux et misanthrope, et le culte égocentrique, narcissique et médiatique du soin porté au corps, la coquille du soi consumériste : cohabitation aberrante de « ma planète est une poubelle » et de « mon corps est un temple connecté ».


A quoi bon prendre soin ? Par instinct de conservation, par sentimentalisme, par intérêt économique, par culture, par tradition, par vanité ? Conserver, au sens strict, n’est pas vraiment prendre soin. C’est s’assurer de la maintenance des choses au meilleur de leur état, du ralentissement de la décrépitude, de la négation de l’entropie, du développement, de l’inclinaison, de la pulsion et de l’accident.

Le consensus scientifique actuel est qu’en conservant les dynamiques à l’œuvre, ce sera le clusterfuck environnemental et civilisationnel. Il faut aujourd’hui concilier la donnée collective au devenir individuel. Prendre soin, c’est allier persistance et adaptabilité.


L’artiste, figure ambivalente, quelque soit sa détresse économique, sait adapter ses moyens, dégager du temps, accorder de la considération et de l’attention à la chose artistique, prendre soin de son Œuvre, pas nécessairement de ses productions. Œuvrer reste une activité, qui fait fie tant se peut de l’adversité. L’artiste est trop précaire pour rivaliser avec les institutions en matière de conservation. Son expertise est variable en matière de conditionnement, de transport et de stockage ; il est néanmoins l’expert par excellence pour la restauration de ses œuvres, car il en redéfinit arbitrairement et incessamment les paramètres, les limites acceptables, les rebondissements créatifs. De ce postulat, CONcErn en a construit une arche. Par-delà la naïveté d’une pareille image, il faut avoir séjourné à Cosne d’Allier pour éprouver la sincérité, la pertinence et les qualités de cette initiative artistique et associative. Son aventure prospective, expérimentale et para-institutionnelle. Leur générosité.

Lorsque CONcErn m’a parlé d’un Summer camp à Cosne d’Allier, pour réunir pendant une semaine la communauté éparse des artistes ayant fait appel ponctuellement à leur service, je me suis posé pendant plusieurs mois cette question du « Careness ». Les œuvres d’art ne sont pas fondamentalement inaliénables, c’est l’institution française qui peut leur conférer cette qualité. Alors, pour le temps d’une semaine, que les artistes qui le souhaitent, disponibles, vivants, sains, non contagieux, intéressés, mobiles, curieux, reviennent prendre soin de leurs propres œuvres, les revisitent, les détruisent ou les agrémentent, reviennent les regarder, les consulter, les animer, les commenter, les partager. Pour mesurer l’écart entre leurs préoccupations actuelles et celles de l’instant de création de leur œuvre en dépôt (car il s’agit bien d’un dépôt), de leur exposition, de leur sauvegarde ou abandon.

Prendre soin est une activité résolument volontariste, sinon à quoi bon ? Who cares ? »




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