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Frugès, 2022

texte accompagnant l'exposition "Frugès" de Simon Feydieu, La Bonbonnière, espace d'art de Les Roches de Condrieu, 2022 / commissariat par Paul Raguénès

Photo © Ola Pilot



Point de bonbons dans cette bonbonnière.

Pas de grand patron raffineur de sucre non plus dans ce petit commerce ayant changé de destination.


Henri Frugès fût, entres autres, et c’est ainsi que la postérité retient son patronyme, le commanditaire d’un lotissement ouvrier en Gironde, la cité Frugès, réalisée par Le Corbusier en 1929. Ce que je retiens comme anecdote, car la mémoire semble les préférer aux évènements, est la requête du confiseur de colorer les bâtiments. Winner soucieux d’exclure tout évocation de l’objet conditionné de sa réussite que les formes parallélépipédiques et dépouillées des bâtiments, originellement blancs, ont dû lui évoquer spontanément, impression sans doute renforcée par l’échelle des premières maquettes du projet. La modernité prônait une épure, chassant le superflu. Arrêter les sucreries, choisir les plus beaux morceaux.

C’est une autre histoire qui nous amène dans cette exposition, dans cette région viticole, où la transformation du sucre est plus une affaire d’adulte que d’enfant.

Lorsque Paul Raguenes, membre de Libre en tête, chargé des expositions à la Bonbonnière et accessoirement mon ancien galeriste, m’a téléphoné, j’ai pris quelques secondes pour réfléchir à son invitation. Quelques jours pour choisir le titre, plusieurs semaines pour faire les pièces et plusieurs mois pour les choisir. Qui ne serait pas tenté de supputer l’inverse ?

Pause.

Faire des aquarelles en écoutant France culture. La maladie. Revenir à l’atelier guéri. En forme.

Pause.

J’aurai pu tout aussi bien titrer l’exposition « Albers » comme Joseph et Anni. Comme Anni et Joseph.

Les décisions. Pas le point fort dans mon soliloque, mais intuitives, oui, assumées oui oui car cela ne saurait être autrement. Sans communication anticipée, il n’y aurait pas d’exposition. Sans titre, c’est embêtant. J’ai une série de titres dans un fichier. J’annote des pensées, des formules qui me séduisent pour des raisons qui disparaissent bien vite. Un beau poème ne fait pas une belle chanson. Un beau titre n’enjolive pas une exposition. Un beau texte n’est rien d’autre qu’un beau texte. Ils peuvent la sauver, l’exposition, parfois par la diversion qu’ils produisent. De loin.

Les titres. Je vais finir par les choisir au hasard. Comme un aventurier désespéré et fantasque. Comme un devin, un sourcier, un sorcier, un simplet. Si cette exposition était une déclaration d’amour, ce serait celle d’un Ugolin pleurnichard se cousant un morceau d’étoffe à même le bide. Parler d’une passion à son nombril. De plus, les grosses coutures, c’est toujours émouvant, dans une exposition comme au cinéma. Je suis bon public, surtout avec mon travail. Tout néophyte y saisit l’accent, le coup de poignet, le labeur, l’approximation outrancière confortant certains préjugés sur le « métier ». Aux chiottes, les virtuoses ! Vive les gouttes de sang perlant sur les doigts. Le sang donne des couleurs, tâche, se lave à l’eau froide. Les plaies ouvertes, contrairement au tissu, n’apprécient pas le bicarbonate de soude. Les peintures, elles, ne se lavent ni ne se lessivent. Elles sèchent. Têtes en bas, s’étirant comme des montres daliniennes. Tendues comme des vieux cuirs. Détendues comme des vieux slips. Toiles libres. Huile sans vinaigre. Hors-sol. L’abstraction n’exclut pas les perceptions de profondeur, mais rares sont les peintres abstraits pour qui la gravité semble exercer sa pression. Les dégoulinures pailletées d’Armleder. Les bourrelets craquelés d’un Parrino à lunette. Les chairs s’affaissent. Les couleurs ternissent. (Dé)barbouillées. Percées. Ecartelées. Sans soleil, les vieilles peaux pourrissent. La galerie reste silencieuse. Crocodile.


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