J’ai arrêté de fumer il y a dix ans.
« Tu sais, du point de vue économique, à raison d’un paquet de cigarette par jour non fumé pendant 10 années, l’augmentation graduelle du prix estimée -disons- à 6 euros en moyenne sur cette période, soit 3650 jours, enfin avec les années bissextiles, ... »
« Ta gueule ! »
Aujourd'hui, même ma balance s’en fout. Les personnes excessives se reportent toujours sur un nouveau vice, une nouvelle drogue, une nouvelle manie, une nouvelle « passion ». Heureusement pour moi, je suis actuellement sur une période « jus de tomate ». « Mollo sur le tabasco quand même !» crie mon anus.
Vernissage de Loïc Blairon à ALF, espace d’exposition chez LFA - Looking For Architecture -, dans le 3° arrondissement lyonnais. Essoufflé, je m’assois sur le banc, à côté du buffet.
Scunch -scroth- cratch-cratch – slurp – sluuuuurp – miam miam. (je peux pas blairer le bruit des autres mastications que la mienne)
Je me fais quand même cette remarque que le volume global de sa sculpture en fibre de verre m’évoque un monolithe à terre, horizontal, un paquet de cigarette couché, avec son clapet et sa feuille d’alu. « Un savon » ois-je. Elle semble comprendre une partie inférieure et une partie supérieure, scindée d’une ligne épaisse / d’un bandeau fin. Un peu comme celle/celui du film plastique d’emballage que l’on déchirait comme une grosse merde, avant de le jeter au vent, par terre, toujours. L’électricité statique semblait nous dire « non, non, tu fais une grosse connerie, pense au climat! ». Bon, les dimensions ne sont pas celles d’un paquet « normal », ni de 100’s ou de 10. Plutôt de 25 , genre Rothmans (marque anglaise de cigarette à fumer de la main gauche) ou de 30 pour les News. Dégueu d’ailleurs. J’en ai quand même fumé quelques milliers; les adolescents déjà addicts à la nicotine fument de rapines et d’opportunités. Un paquet blond ambré gisant. Enfin, cette appréciation discutable n’engagerait que moi, si je m’étais abstenu d’en faire part à mon ancien galeriste en croquant dans une tomate cerise et à l’artiste en mangeant du saucisson. Bouffer au buffet, mon pécher mignon.
Quand on parle trop la bouche pleine, il faut mieux déglutir vite pour enchaîner sur un sujet un peu plus érudit plutôt que de s’exposer à un savon savant.
La sculpture de Loïc Blairon gît au sol. Gésir, verbe étonnant ! Presque un acronyme de lui-même. Une contre-contrepèterie. Il ne s’emploie pas au passé simple mais à l’imparfait. Gésir est plus un état qu’une action, on ne gît pas de manière fulgurante, animée ou temporaire d’ailleurs. Gésir, comme geindre, est mauvais signe pour l’être aimé. Je rumine -je m’y essaye pour passer la quarantaine sans partir en vrille- en me resservant du jus de pomme2. Le liquide est clair, ambré, plic-ploc.
Revenons brièvement sur cette observation incorrecte : « paquet couché / une partie inférieure et une partie supérieure ». Oxymore de rire. Personne n’a moufté, j’dis ça, j’dis rien. Grand corps -malade- et petite tête -pleine de chiffon - : un anthropomorphisme de projection irrépressible due au trop plein de figuration dans la sculpture actuelle sans doute.
Je pense que la sculpture gît car elle est posée à même le sol sur sa face la plus grande ; elle ne pourrait pas tomber plus bas. Son absence de socle abonde dans cette idée moderne : elle s’émancipe pour intégrer l’espace pleinement, son architecture, sa circulation. Elle rivalise avec le mobilier environnant, nous menace parfois d’un procès, d’une plainte, d’une réprimande, du moins d’une complainte ou d’une remarque déconfite murmurée les yeux baissés de saon auteur.rice , si on la brise en s’asseyant dessus. J’adore Loïc, mais j’appréhende l’idée même d’égratigner une de ses œuvres. Docteur Jekyll est déjà bien assez hardcore. Presque un acronyme de lui-même. Bal noir.
Je me signe avec mon gobelet. Et merde, une tâche ! Heureusement, c’est du jus de pomme.
Lors d’un voyage en famille à 4 générations (hé ouais!) à Turin, nous avons visité le patrimoine catholique le plus chiant du monde. Il s’agit du Saint-Suaire. Enfin, il faut avoir la foi ! Je ne parle pas de la foi que requiert le culte des reliques mais de ma stupéfaction lorsque je suis arrivé devant une baie vitrée renforcée, sans doute pare-balle comme la papamobile (et la Batmobile). De l’autre côté, une caisse en bois ressemblant plutôt à une scène (pas la cène), couverte d’une sorte de desserte, aux dimensions disproportionnées pour y ranger un linge, un corps ou un prophète. Le petit plat dans la grande boîte. Dans 33 ans, on tirera la chevillette et la bobinette sera loin, « le Saint-Suaire a été dérobé !» (oui, c’est un jeu de mots). Sans doute par une ligue de cambrioleurs.euses intégristes réformateurs.rices, schismatiques ou hérétiques dont je n’ai pas encore écrit le manifeste.
Dans la "tête" de la sculpture, les parois inframinces -j’adore l’aura francothéoricophilosophique de ce terme- laisse percevoir un tissu plissé-froissé, enfin en boule, dont les replis épousent délicatement et de manière irrégulière les surfaces de fibres et de résine translucides. Le second compartiment est vide, nimbé de lumière comme un vitrail monochrome sans plomb (95), une chrysalide géométrique aux arrêtes huileuses, une sculpture Antiforme qui saurait bien se tenir. Pas courant.
Les dimensions de l’œuvre m’interroge sur celles de la caisse (la bagnole) de Loïc. Dimensions utiles compatibles avec un démoulage en Flamby du coffrage, je dirais. Je privilégie la sculpture pragmatique moi aussi; en kit, par contre. J’hésite entre une Dacia Dokker et un Break Familial. Je pense aux sculptures de Rachel Whiteread, prenant l’empreinte de caisses, de montées d’escaliers, de pièces et de bâtiments entiers, matérialisant le vide. J’ai longtemps crû que ses sculptures monumentales, comme « House », étaient pleines ; il s’agissait en fait de béton projeté et non coulé, les assistants s’extrayant via des trappes, scellées par la suite. « Ce paquet de clope sera votre tombeau ! »2. Avoir des enfants est la meilleure excuse du sculpteur pour flinguer son budget dans un utilitaire maquillé en poussette de vacances. Un coffre à sculpture sur roulettes. Un corbillard contemporain pour objet sans destination finale.
Vroum Vroum.
Mes sculpteurs.rices préféré.e.s ont recourt à la peinture à l'huile comme les mécanos à la graisse de mouton (le suif). Le kiffe d’estimer au jugé un temps de séchage, du savon à bille ou du marc de café pleins les doigts. Loto mental. Le moteur tourne.
Il y a une anecdote méconnue que j’aime bien rapporter aux personnes que je considère dans le monde de l’art. Les autres, je leur parle de mes jus de tomates. Je m’apprête donc à vous faire une confidence, bande de Nicolas !
Pour ceux qui ont loupé la leçon au tableau, petite raccourci au jus de pomme: Tony Smith est au minimalisme, ce que De Chirico est au surréalisme, ce que Jean Couty fut à la croûte lyonnaise (Fatal Futal) : un précurseur, une inspiration, un distillateur, un néné. Cet artiste a aussi enseigné dans différentes universités, notamment de design (Antoine, Laurent, sachez qu’il travailla aussi pour Frank Lloyd Wright et devint par la suite architecte autodidacte). L’un de ses exercices pédagogiques et pratiques consistait à faire travailler ses étudiant.e.s sur la modélisation en carton d’objets du quotidien, genre un paquet de cigarette, dont iels devaient augmenter les dimensions, épurer les lignes, rechercher la simplification maximale de la structure. Cela pourrait sonner comme de la vulgarisation du processus du sculpteur pop-art Cloes Oldenburg. Yes. Enfin bon, ce n’est pas tout à fait l’anecdote que je mentionnais plus tôt. La voici : l’une des premières sculptures qualifiées à posteriori de minimale est née d’une conversation -sans rapport- entre Tony Smith et son éditeur/galeriste/ami/ psy/podologue ? Sur le bureau de son interlocuteur reposait une boîte à fiches de contact aux formes épurées, parallélépipédiques de couleur noire. Pas très réactif sur le moment,Tony Smith lui en demanda plus tard les dimensions par téléphone et fit réaliser une sculpture en acier de grandes dimensions homothétiques. Je ne m’abaisserai pas à vérifier l’exactitude de mes souvenirs ; les approximations, les rumeurs et les fake news sont bien plus savoureuses. Le précurseur du minimalisme était donc une sorte de dark campy Pop artiste. Transfuge ! Pendez-le! Le titre est « Die », je crois, ce qui m’arrangerait bien, mais je n’en suis pas sûr3. De mourir, si par contre.
J’ai fumé comme un.e pompier.ère pendant une quinzaine d’année, pourtant je pense avoir de meilleurs poumons que Loïc. Le goudron fait moins de dégât (!!!!! TRIIIIIIT !!!!) que les vapeurs de résine dans les bronches. Les poumons sont des organes que je ne connais qu’à travers des radios flippantes. Je n’en ai jamais soupesé un, ni deux, contrairement à des couilles, des jambes, des mains, des fesses et des seins. Leur volumétrie m’est inconnue. Je sais qu’elle change avec l’air, mais j’en ignore l’amplitude de (dé)gonflement. Se vident-ils comme de vieilles capotes ? Peut-être sont-ils translucides, ambrés ou verts? Il faudrait que je demande à mes amis reptiliens platistes.
Je vais pas tarder à rentrer. Mes gosses s’agitent, ma compagne insiste. Je ne mets jamais les pieds chez moi avant 20H30 en ce moment et puis, la lumière baisse. Regarder cette sculpture après le coucher du soleil serait déceptif j’imagine, un peu comme déchiffrer une horloge solaire. On peut tout aussi bien avoir l’air con le regard en plongé qu’en contre plongée. Mon attention décline, elle aussi. Formuler vite et penser peu.
Loïc, oui, j’irai bientôt te voir à Paris. Promis. Tu sais, je suis bissextile.
Abel check belliqueusement deux-trois paluches. Ouille ! Aïe ! CRAC !
Cassos.
Sans égratignure, ni réserve.
Dans ma poche, un briquet.
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