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« This is my place! »1, 2023




Sébastien Maloberti m’accueille sans animosité manifeste. T-shirt lesté de terre et de nacre, chiquant du gluten. Staring contest. « Tu vois, le monde se divise en deux catégories, ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent, toi tu creuses."2. La pelle à la main, il achève un trou devant le bâtiment où il semble passer sa vie3. Je scanne vite fait ses mollets à la recherche d’un bracelet électronique mais que dalle. Le mec s’emmure à la dure. Clermont City est une terre noire, gorgée d’artistes titans. S.M. rapportera la terre dans son atelier, la tamisera, enduira ses supports, pétris de colle, de ...bref, de ces mixtures qui ne parlent qu’aux artistes mais qui évoquent pour tou.s.tes une pratique empirique éprouvée, inutile et brillante. Du mystère abordable.


Je le suis à l’intérieur car je n’aime pas être suivi d’un homme à la pelle. Je le suis parce que je lui en dois une ou deux. Je le suis parce que j’aime ce qu’il dit, ce qu’il fait et ses manières qui n’en sont pas.


Cet homme à abattre sort peu de son atelier. La franchise3 n’est pas une valeur prisée dans le milieu. Des gardes du corps auvergnats au pied de l’escalier en colimaçon jouent au billard, préparent du thé, fument des roulés. Je suis venu lui présenter mes respects. La valise est lourde. Je la pose sur le billard. Le consigliori portugais s’en saisit . «a conta esta ai 4». Toujours.


Son espace d’atelier est une curiosité. Un bordel mutant qui clignote. Un milieu. S.M. bronze sous les néons, blanchit dans la poussière, y lève de la fonte, du contreplaqué, de l’aggloméré, de la bâche, du dibond et de l’argent, dort pendant le séchage d’une couche d'huile, dort pendant que la terre se rétracte, se déchire. Pantomime de Bruce Nauman, il rebondit sur les murs de l’atelier comme un nageur de fond. Molloy Molloy. Ses mains moulinentes5.


J’éprouve un plaisir pervers à être son collectionneur exclusif depuis 14 ans, asphyxiant la diffusion de son travail, dépouillant mes rivaux. « Et tu cherches un endroit où je dérive parfois »6. Je suis la brute. Le truand. Ce type devrait être une star, de celles qu’on lapide collectivement et publiquement avec envie, jalousie et joie féroce. Que l’on s’arrache avec des faux ongles et des montres-bracelets.Tic-Tac.


Le dernier gars, à qui S.M. vendit une œuvre, fit l’erreur de poster son acquisition sur Insta. Tchak tchak. Vous retrouverez son corps enterré dans la cave d’In Extenso, rue de la Coifferie.


En 2003, j’ai acheté le marteau de « Old Boy » à l’accessoiriste du film. On le trouve facilement dans les boutiques du quartier Itaewon de Séoul. Le contrat d’authenticité lui a traversé le crâne. Depuis, je m’entraîne dans des couloirs dansant sur mes jambes, déportant violemment mon centre de gravité.


Mais l’hyper violence reste un dernier recours. Je surenchéris toujours, tapant du pied, harcelant, menaçant. Coercition for breakfast. Sa côte marchande est mirobolante, artificielle, fragile et mourra avec moi si j’en décide ainsi. Il a beau tenir la pelle, je reste le fossoyeur. Ce non-dit est le statu quo de nos transactions.


Mon indic à la Diode me fait part d’une rumeur : une vente au enchères au Palais de Tokyo, à laquelle il participerait. « Isso é para novembro”8. Tchak Tchak. Ça crashera épais dans les marches. Je te marquetterai leurs faces façon granito Guston. De l’émail sans céramique, en veux-tu, en vol, là. Des incisives imprimées dans le bitume. Le palais sans dent.


La surface du tableau que je viens d’acheter m’évoque un monde acarien. La géométrie fait son chemin, torturée, des symétries sont malmenées par les reliefs, les couleurs en dégradés ont un vernis inaltérable. Je me sens tout petit. Dans le royaume quantique, le vengeur Antman ne matte que des peintures abstraites, des croûtes et des fils. Des craquelures tectoniques. L’héritage moderniste perdu dans un monde immense.


Clic clac. L’œuvre est chargée dans mon coffre à la feutrine élimée. «vai-te embora daqui !»9. Personne ne salue avec une pelle. Je décarre, sillonne les zones d’activité avant mon prochain braquo. Clermont City expose des images brûlées par le soleil dans ses vitrines. Le prêt-à-porter y côtoie le design industriel. Certaines devantures sont habillées de planches, les parkings de branches. Un pellicule fine recouvrent ma carrosserie lilas. Sourire au flash sur le boulevard. Autobahn.


La vie d’artiste requiert une foi païenne ; une mythologie personnelle nous maintient en vie. La bête noire : une sous-vie sous vide qui fait parfois envie dans le rétro. Le coup du lapin. Il ne faut pas s'arrêter de peur de ne plus courir, de devenir lent comme un petit prince regardant la mort dans un bassin d'eau fraîche. Une pointe de côté. De tous les côtés. Le promontoire du songe10.


Tchak tchak.


En 2022, l’ancien gars du Frac a pris cher. Fond inaliénable, my ass. Je vous recommande de sonder le potager d’Artistes en Résidence. Sous les fraises. Téma mes mains telluriques quand tu m’invites à l’apéro ! Amor fati11.


Juillet. De l’acier et des galets. Retour de Amplepuis. Tracer une ligne franche à la craie : l’échange d’oeuvre entre S.M. et F.H. n’a pas eu lieu. Rrrik thffu . « Vous êtes tous.tes des fourmis ! » criais-je, marteau à la main, une oreille arrachée, une couille éclatée.


Le son des ongles.

Zach Mitlas !12

Tchak Tchak.

I’m on my way.



1 déclamation agressive de Vito Acconci dans CLAIM, 1971, performance filmée (64 min.), 93 Grand Street, New York; 3 heures ; 1971. L’artiste, les yeux bandés, agite violemment un bâton, interdisant l’accès au sous-sol pendant 3 heures. « …I’m alone down here…I’m alone here in the basement…I want to stay alone here…I don’t want anyone with me …I don’t want anyone to come down here with me…Ill stop anyone from coming down the stairs…I’m alone here in the basement. . . I’m staying alone…. »

2 « C’était un gouffre qui ne connaît pas son trou », j’ai un peu hésité à plagier cette formule d’Amélie Lucas-Gary, tirée du catalogue « Les pensionnaires » de Pierre David, Éditions Bernard Chauveau.

3 La brute, la brute et la brute

4 système de commercialisation de produits, services ou technologies reposant sur une étroite collaboration entre deux entreprises juridiquement et financièrement indépendantes l'une de l'autre. 

5 « le compte y est » en portugais

6 Tu l’écris comme tu veux, c’est pas du Larousse.

7 remerciement à Martial Jean-Jacques G. Deflacieux pour cette contribution fallacieuse. Au sommet de son art, Martial !8 « c’est pour novembre » en portugais

9 « casse toi d’ici» en portugais

10 Dans Le Promontoire du songe, écrit en 1863, Victor Hugo décrit une observation de la surface de la Lune à travers un télescope, la découverte de ses reliefs et du volcan appelé le Promontoire du songe. Cette formule titre l’exposition du Frac, en 2022, dont Jean-Charles Vergne est respectivement le commissaire et directeur.

11 Amor fati est une locution latine qui fut introduite par le philosophe allemand Friedrich Nietzsche au XIX e siècle Amor fati signifie « l'amour du destin » ou « l'amour de la destinée », ou plus communément le fait « d'accepter son destin ».

12 Directeur de l’artist-run space Off the Rail à Clermont City.

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