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Fables Bérurières, 2012

commissariat de l'exposition Fables Bérurières, Greenhouse, St Etienne, 2012

avec Jordi Colomer, Thierry Liegeois, Olivier Nourisson, Éléonore Saintagnan et Shingo Yoshida

Photo © Therry Liegeois


Déclamateur d’hymnes à la Solidarité, à la liberté et à l’antimilitarisme, contre la peine de mort ou l’enfermement psychiatrique arbitraire, Les Béruriers Noirs, tant dans leur textes que sur scène ont mené tout long de leur vie un combat désespéré et festif contre les mécanismes déshumanisants. Déjouant les conventions du monde du spectacle, l’œuvre même des Béruriers noirs ne saurait se restreindre à l’entité musicale. La communauté qu’ils fédéraient participait activement à la présence et au déroulement des festivités, déconstruisant la frontière entre public et participants.


Greenhouse propose un cycle d’exposition en deux volets triturant l’héritage folklorique du groupe, entre hommage et appropriation. Plutôt que réécrire leur histoire par un biais documentaire ou s’attacher à magnifier cette époque, l’initiative tente à offrir une relecture non raisonné de l’engouement, l’impact et l’influence qu’un groupe aussi singulier aura eu sur une scène artistique à travers deux générations de plasticiens.


Le premier volet s’appuie sur un point de vue de la jeune génération et ce qu’elle en retient a posteriori, soulignant les persistances, les points de rencontre et de divergences avec la génération qui l’a précédée.


Le deuxième volet mettra à l’honneur l’année, des plasticiens ayant vécu et accompagner cette époque.


Fables Bérurières / Part 1

« Avis à la Population ! Au pays de L'Empereur Ketchup Les Enfants sont rois et ils font la loi ! Tournicoti, tournicoton... C'est l'année zéro de la Rébellion. »1


« Je suis né en 1984. L’album mythique Macadam Massacre premier opus, brut et manifeste de ce groupe est sorti en 1983. Je n’ai donc pas d’anecdote autour desquelles extrapoler un commissariat représentatif de l’ambiance d’une époque qui pour moi se résumerait aux courses à Mammouth et Albator le mercredi matin.


Les vidéos présentées dans « Fables Bérurières » à l’occasion de ce premier volet n’ont pas valeur d’archives et les thématiques n’abordent pas frontalement l’héritage des positions radicales et festives de ce groupe que j’ai découvert tardivement dans mon adolescence à travers leurs disques et leur légende. Quitte à décevoir les nostalgiques des pogos et du carnaval des agités, j’ai désiré éluder le caractère musical et festif pour interroger leur écriture que je qualifierai comme une poésie (sur)réaliste sociale, populaire et militante.


La force des textes des Béruriers Noirs est d’avoir su échapper à la simple énumération des tares de leur époque pour l’étoffer d’une forme narrative résolument décalée. Elle se nourrit d’une fiction absurde et glauque où le surréalisme supplante les tentations d’une revendication primaire comme pour de nombreux groupe punk de l’époque ou de leurs héritiers.


Les Béruriers Noirs constituèrent tout au long de leur carrière leur bestiaire en s’inspirant de faits divers (scarabée, Héléne et le sang), de personnages historiques (Napoléon, Geronimo) et d’autres issus de la mythologie populaire (clown, apaches, empereur tomato ketchup, bouddha, les Bûcherons, Mère Noël …), implantant leur récit dans le tiers monde, les rixes, les lieux de conflits sociaux ou militaires, les milieux carcéraux et psychiatriques, les banlieues et les écoles. Plus proche d’Alfred Jarry que de Voltaire, du cirque que de la scène, leur cri a su persisté dans l’écho paradoxale de s’éloigner du fait pour composer avec des symptômes, de créer des mythes et des contes au travers d‘une imagerie populaire.


Les vidéos présentées s’apparentent à des fables contemporaines qui deviennent dans leur juxtaposition une compilation restreinte d’errances et de rencontres avec des personnages atypiques.


L’artiste Thierry Liegeois a conçu une installation monumentale, partitionnant le lieu d’exposition et accueillant la programmation vidéo. Une imposante palissade en bois dont les pointes rappellent un château fortifié ou certaines aires de jeu, s’élève ici à l’échelle d’un adulte ou d’un dindon/gardien cravaté, au choix. Cette sculpture se divise en deux murs orthogonaux dissimulant en leurs envers une salle de projection ainsi qu’un poulailler. L’installation de Thierry Liegeois stimule deux comportements chez les visiteurs, de même que chez l’animal de basse-cour ; une exploration de la sculpture ainsi qu’une installation plus ergonomique pour regarder les vidéos sur des gradins robustes en planches de coffrage usagées ou s’enfouir dans un paille bien tiède. Plutôt que parler d’art à un lièvre mort2, Thierry Liegeois nous invite à visionner dans un froid glacial des vidéos d’artistes en compagnie d’un animal indifférent.

Dans « Père Coco et quelques objets trouvés 2001 » (2002) de Jordi Colomer, la désocialisation et la déchéance supposée du protagoniste rend sa collecte sans objet. Il semble amasser, dans un but de recyclage plus que de don, des rebus dérisoires chinés dans les rues dont il alourdit stoïquement son barda. A contre-emploi d’un père noël qui délesterait jovialement sa hotte chaque année dans le froid, idéalisé comme vivifiant, Père Coco incarne un personnage désenchanté qui amasse ce qui n’est plus destiné à personne.

La vieille dame au chat que Shingo Yoshida a filmé depuis la fenêtre de sa chambre en hiver (Forgettable, 2005), s’acharne, elle aussi, auprès de délaissés incarnés ici par les chats sauvages, qu’elle vient nourrir quotidiennement dans l’ancien amphithéâtre romain à Lyon. Ses compagnons sont faméliques, perclus dans une misère que la dame comme les félins semblent incarner tour à tour. On retrouve une peluche à l’effigie d’un chat, introduite par l’artiste, comme un jouet perdu ou un avatar de ses pairs qui incitent la vieille dame à l’emporter par-dessus son cabas, comme un cadavre.

Les deux autres vidéos s’inscrivent dans un cadre champêtre. Le premier, « Triste tropisme » de Olivier Nourisson ( 2007) pastiche le documentaire ethnologique des années cinquante. Il n’est plus question de personnage désocialisé dans son propre environnement mais d’introduire un archétype occidental (le journaliste ethnologue) dans un milieu hostile. Que ce soit par ses propriétés chimiques, ses usages, ou ses modes de prolifération, la faune et la flore décrites dans le documentaire fictif semblent constituer un péril imminent dans le cas de leur introduction ou d’une cohabitation avec un environnement urbain. Dans un renversement ironique, l’artiste incarne un ermite esthète annonçant une rupture déjà consommée avec l’univers sauvage et fragile de notre écosystème.

Eléonore Saintagnan , dans « les petites personnes »(2003), se focalise sur des enfants habitant à la campagne et les filment dans un quotidien orchestré. Tels des enfants terribles3, ils parodient avec naturel des usages d’adultes absents comme une utopie d’autogestion qui vient alléger le ton et les situations mis en exergue dans les autres vidéos.


Dans un bunker de bois se pavane un animal TomatoKetchup. Des jouets et des plantes se parent d’une inquiétante étrangeté. Des promenades où l’on a froid.

Une quête d’adaptation à notre milieu qui persiste à ressurgir.

Et

Les Enfants sont rois et ils font la loi !



1Extrait des paroles de L’empereur TomatoKetchup , album Abracadaboum, label bondage record, 1987.

2 Alfred Jarry est l’auteur du cycle de piècse de théâtre Ubu, dont la première « Ubu Roi » fit scandale. Cette pièce est considérée comme précurseur du mouvement surréaliste et du théâtre de l ‘absurde. Jarry mêle provocation, absurde, satire, parodie et humour gras.

3Comment expliquer les tableaux à un lièvre mort, performance de Joseph Boeys, galerie Alfred Schmela, 1965.

4 Les enfants terribles est un roman de Jean Cocteau, paru en 1929.


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