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Carrière, 2015


The Forest, 1927 / Max Ernst


Je me balade en me tenant le coude dans une carrière dont la roche m’est inconnue. Friable au toucher, elle invite à creuser en son sein de petites sculptures. Des chèvres décapitées. Des trophées vulgaires. Leur surface est façonnée par mon ongle, éclairée par une lune trouée. Des trous, des trous, plus de trous que de grattages. Des aspérités grinçantes. Ma main n’a plus qu’un ongle.

La carrière est de plus en plus étroite. Est-ce un effet de la fatigue ou bien l’adaptation de ma rétine?


Je regarde la lune et nous nous ressemblons. Je regarde la colline percée et je souhaite l’obstruer de papier mâchée, rose, vert, bleu. Des couleurs pâles mais bien épaisses.

Je suis passif. Je me tiens toujours le coude. J’attends. Mes ongles repoussent en silence.

Le long du sentier de la carrière, les empreintes d'Abel sont de tailles variables. Elles ne s’alternent pas toujours d’un pied droit et d’un pied gauche. Il y a un montage, une montagne et une répétition que je n’arrive pas à saisir. Cela dépend sans doute d’un autre geste. D’une absence de méthode.


J’attends puis je me remets à gratter. La carrière se strie et continue de changer de couleur. Abel a disparu dans la montagne percée. Le papier mâché n’a pas tenu et les couleurs éclosent à travers cette roche friable qui infiltre mon coude et enterre mes genoux.


Le paysage ne change pas. Il se déforme. Les couleurs changent mais sans cycle. Demain je gratterai le sol, car je suis seul à savoir le faire. Je le trouve très beau. Il faudrait pourtant que cette carrière disparaisse pour que je cesse de la gratter. Mes empreintes, très régulières, sont de moins en moins lisibles. Elles sont anciennes et se remplissent de tout ce que je laisse dessous moi.


Grandir, si ce n’est dans cette carrière, n’aurait aucun intérêt pour le paysage.


Creuser. C’est une question d’ongle et de persévérance.

Je finirai bien par ronger ce qui reste.







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