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Chérie, j'ai acheté un Jacquot!, 2015

Chronique de l'exposition Problème et tarot de Anthony Jacquot-Boeykens, chez Néon, espace d'art contemporain, Lyon, 2015 / commissariat par Julie Rodriguez-Malti

Photo © Anthony Jacquot-Boeykens / Chez Néon


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A 31 ans, j’ignore toujours ma taille. Ma taille, au sens premier, la plus évidente, celle qui nous hisse à la hauteur du sommet de la tête, des yeux, du menton, des épaules ou des seins de nos contemporains. A 31 ans, j’ignore toujours ma largeur d’épaule, mon tour de taille, ma pointure et ma taille de slip / boxer /caleçon (indifférent), celles qui nous permettent de dépenser frénétiquement notre argent les semaines de Soldes. « Quelle est votre taille ? » rime pour moi avec un regard interrogateur un peu penaud lancé à ma compagne, qui me (pour)suit parfois dans mes emplettes vestimentaires. J’ai essentiellement porté tout au long de ma vie des vêtements de seconde main, chinés ou récupérés auprès de mon frère, de mon père ou de mes amis1.

Semaine de Soldes.

Samedi.

Monoprix.

Embarrassant.

Cette semaine, j’ai raté le vernissage d’un ami que je ne vois plus. Je veux au moins voir son exposition. J’avais une bonne raison pour ne pas être présent au vernissage ( ?), et ça, ça m’arrange car, dans les vernissages à Lyon, je n’arrive jamais à voir quoique ce soit, et après, c’est foutu pour la première impression.

Chez Néon.

Je connais bien le lieu d’art, j’y ai exposé trois fois, y ai travaillé deux ans, et j’y ai tenu un bar clandestin aussi. Une fois, j’ai mis une baigne à un pique assiette bourré, sale et libidineux pour avoir été obscène avec la compagne de l’ami dont je visite actuellement l’exposition (je crois bien que c’était elle). J'étais un peu bourré aussi. Depuis, je regarde les expositions à jeun. Enfin, j’essaye.

Dans l’espace principal, une palissade et… merde, … Jacquot Le Bâtard ! Je n’avais rien vu de sa production depuis des mois. Une fois, j’étais rentré discrètement dans son atelier qui jouxte celui d’une artiste dont j’étais venu chercher les pièces pour une exposition que j’organisais. (Bon, il n’était pas là mais/donc j’avais quand même jeté un œil). Je reconnais les perforations répétées méthodiquement et sans colonne sur des planches d’agglo, reproduisant des panneaux métalliques d’agencement de quincaillerie. Je reconnais des effets de trompe l’œil, imitations cartoonesques de veinures de bois, peintes à l’acrylique, toujours sur des panneaux d’aggloméré stratifiés en blanc. Je reconnais des assemblages, des agencements, des moulages, je reconnais le Forex, la peinture à l’huile, des objets, des gestes et des attitudes récurrents dans son travail mais je me prends un grand coup de Jacquard dans la face !

Au mur, un certain nombre de panneaux en Forex ont été peint d’un motif de grille en losange, de différentes couleurs, surimposées avec un pinceau, sans qu’elles ne se mélangent. Les couleurs sont presque primaires, le trait quelque peu irrégulier sans être hésitant, le support sale et sommairement coupé en rectangles. Cela me rappelle des motifs Jacquard, bien que le nom provienne en réalité de la machine et non du motif. Ici, l’outil, c’est sans doute un petit pinceau brosse. Une pratique primitive et décomplexée de la peinture à l’huile, abstraite si l’on ne discernait un patron de textile stylisé et esquissé au Bic sur le Forex en arrière fond, le long des bords.

Le métier à tisser Jacquard a été mis au point à Lyon, en 1801 par Joseph Marie Jacquard (la bourgeoisie lyonnaise n’a jamais prétendue être laïque). La compagne d’Anthony Jacquot Boeykens a pendant plusieurs années était la co-créatrice/directrice de la marque de carré de soie imprimé Milleneufcentquatrevingtquatre. Je suis toujours intrigué par les influences mutuelles au sein d’un couple de créateurs. Je n’ai, pour ma part, jamais été capable de développer une relation amoureuse avec une artiste. Je refuse de me demander pourquoi. Dans le travail d’Amélie « de 1984 » et d’AJB, on retrouve les mêmes frottements qu’entre les œuvres abstraites sur tissu à la géométrie rigoureuse de Sophie Tauber et les abstractions épaisses et ondulantes de son époux Jean/Hans Arp. Ça s’entrecroise beaucoup trop pour suivre le fil.

L’abstraction n’ayant pas le monopole de la géométrie, je regarde à loisir les peintures d’AJB comme une extension huileuse de l’univers du mangaka Yuichi Yokoyama. Des cases et des couleurs. R.I.P. panneggio bagnato2.

Je porte ce jour-là un vêtement neuf, pas froissé, que vient de m’offrir ma compagne. J’ai déjà oublié lequel, ainsi que sa taille. Je n’aime pas les vêtements, mais j’aime beaucoup les œuvres d’AJB. Je compte lui acheter une peinture. La directrice du lieu me demande laquelle, je regarde ma compagne, je sais exactement la taille, la couleur et le motif de celle-ci.



1 jeu de mot pourri retiré du texte : « auprès de X. Depuis que j’ai arrêté de fumer, j’M plus trop me regarder dans le miroir. Je XXL. »

2 Le panneggio bagnato est une technique pour rendre le modelé des plissés et des drapés sur un corps humain après avoir enduit d'eau et de craie les habits du modèle ou du mannequin


Simon Feydieu, 2015Chérie, j'ai acheté un Jacquot. Prends ton manteau, on s'en va!

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